110ème RI : Régiment de Port-au-Prince

 

Après la guerre de Sept Ans (1756-1763) qui vit la France abandonner à l’Angleterre la plupart de ses territoires d’outre-mer, les colonies françaises restent peu nombreuses (les « îles à sucre »), mais il faut les défendre face aux convoitises anglaises.

A cette fin, le 18 août 1772, Louis XV crée quatre régiments « pour le service des colonies de l’Amérique », dont celui de Port-au-Prince, qui aura la mission de défendre Saint Domingue, une des colonies les plus riches du Royaume.

Les « légionnaires de Saint Domingue », une milice locale,  et de nouvelles recrues forment le Régiment de Port-au-Prince, constitué de deux bataillons à huit compagnies de fusiliers et une de grenadiers comptant au total 1488hommes.

De 1779 à 1781, des détachements participeront  à la guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique.

La Révolution française voit le Régiment maintenir l’ordre dans l’île. De graves incidents ont lieu, qui culminent avec l’assassinat de M.de Mauduit, colonel du Régiment.

Suite à ces événements, le Régiment est rembarqué pour la métropole, où l’armée est en pleine transformation.

Ayant le 110ème rang dans l’Infanterie royale, il devient le 110ème Régiment d’Infanterie de l’armée de la République.

Envers et avers du 1er drapeau tricolore du 110ème RI

La Révolution et l’Empire

Il est alors en garnison dans la citadelle de Saint Martin de Ré.En 1792, il participe à la bataille de Valmy.

Revenu sur les côtes, il sera engagé à partir de 1793 dans la répression du mouvement vendéen et prendra notamment l’île de Noirmoutier.

De 1794 à 1809, le numéro 110 sera porté successivement par deux demi-brigades en application du principe de l’amalgame (un bataillon d’Anciens et deux de volontaires nationaux).La 110ème demi-brigade de première formation (1794-1796) prend part à la campagne de Sambre et Meuse et à la victoire de Fleurus. Celle de deuxième formation, organisée à Grenoble, existera de 1798 à 1809.Elle fera la campagne d’Helvétie et sera de la victoire de Zürich, puis sera engagée en Allemagne où elle s’illustrera à la bataille d’Hohenlinden.

Ensuite, elle retrouvera les colonies en retournant à Port-au-Prince en 1801 dans le cadre de l’expédition de Saint-Domingue et ne sera rapatriée qu’en 1811.Elle est alors dissoute.

Défenseur français du siège de Paris

Renaissance en 1870

Le 110ème régiment de ligne est crée le 28 octobre 1870, succédant au 10ème régiment d’Infanterie de marche.

Le 29 novembre 1870, il participe au deuxième combat de l’Hay dans lequel il perdra le tiers de ses effectifs face aux Prussiens, mais ses actes d’héroïsme vaudront citations et décorations à ses hommes.

Le 19 janvier 1871, il est du combat de Buzenval, qui sera un échec malgré une conduite brillante de ses soldats.

Après la signature de l’armistice de Versailles, il ne sera pas dissous et conservera ses armes.

Formation de l’Armée de Versailles, il sera de toutes les luttes contre les insurgés de la Commune.

 

Fantassin français (1885) par Edouard Detaille

Préparer la revanche

La paix étant revenue, le 110ème RI est l’un des vingt six régiments à ne pas être fondu avec d’autres et conserve son numéro.

Grâce à une volonté de revanche et de redressement, l’Armée, basée sur la conscription, devient un acteur considérable de la vie de la Nation, les régiments s’unissent avec leurs villes de garnison et accueillent dans leurs rangs les jeunes  de la région.

Le 110ème RI tient garnison à Dunkerque avec des détachements à Bergues et  à Gravelines. Il mène une vie active d’exercices et de manœuvres.

Le 25 juillet 1880, son drapeau lui est remis avec les inscriptions Fleurus, Zurich, Hohenlinden et Saint-Domingue.

C’est aussi la période de l’expansion coloniale et le 2ème bataillon participe à la pacification de la Tunisie au sein du Régiment de marche n°1.

De 1882 à 1914, le Régiment mènera la vie de garnison à Dunkerque et, représentatif de l’armée de la revanche, gardera les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges.

La Première  Guerre Mondiale

1914
Dès le 7août 1914, ses réservistes l’ayant rejoint dans l’enthousiasme, le 110ème RI a son effectif au complet.
Troupe de couverture de la région du Nord, il subit le premier choc et doit se replier sur la Meuse, puis vers la Seine devant l’énorme supériorité de l’ennemi. Puis c’est la victoire de la Marne à laquelle il prend part. Il progresse alors avant de buter sur l’organisation défensive allemande. Son action lui vaut une citation à l’ordre de l’Armée.
Vient alors la guerre des tranchées.

1915
Les hommes terrassent, veillent et attaquent sans trêve. Les bombardements, les fusillades causent des pertes sensibles dans les tranchées et les boyaux. Le Régiment conquiert un fortin qui sera baptisé « fortin du 110ème ».

Ensuite, c’est le départ pour la zone de    Verdun. Le 110ème RI prend position aux Eparges, puis livre des combats avec succès au sud de Verdun. Son chef de corps, le lieutenant-colonel Buffet, est tué.

Clairon du 110ème RI sous Verdun (mars 1916)

1916
Au début  de l’année 1916, le Régiment revient à Verdun et avec les autres sauvera la ville.

Durant l’offensive de la Somme, il prend Combles.
Il reçoit alors sa deuxième citation à l’ordre de l’Armée.

1917
Pour le 110ème, c’est d’abord l’offensive sur Craonne en avril, les heures les plus douloureuses de son histoire et sans pouvoir atteindre le résultat attendu. Le Régiment est cloué sur place.

Puis c’est le retour à Dunkerque pour les permissions.

En octobre, c’est l’offensive dans les Flandres, qui vaut au Régiment  sa troisième citation.

1918
Le début de l’année est marquée par la grande offensive de Luddendorf.Le 110ème se bat sur l’Ourcq et  gagne sa quatrième citation à l’ordre de l’Armée.
Après quinze jours de repos, il se retrouve sur l’Ailette et reçoit sa cinquième citation.
Et c’est la Victoire !

Le Régiment pénètre en Allemagne, passe triomphalement le Rhin et fait une entrée solennelle à Mayence.
Le 20 décembre 1918, à Wiesbaden, le général en chef des Armées françaises, le maréchal Pétain, remet au drapeau du Régiment la fourragère aux couleurs de la médaille militaire.

Durant la Première Guerre Mondiale, le 110ème RI  a perdu 108 officiers, 250 sous-officiers et 2369 militaires du rang. Dans la cour de la caserne Jean Bart à Dunkerque, un monument est élevé à leur mémoire.

L’entre deux guerres

En 1919, le Régiment retrouve sa garnison de Dunkerque, mais retourne à trois reprises en Allemagne, à Trèves, à Düsseldorf et à Bonn dans le cadre de l’occupation.

En 1933, il devient régiment motorisé (ce qui n’a rien à voir avec les critères d’aujourd’hui et le régiment motorisé n’a pas de moyens de transports propres).

Sa musique tient une grande place dans la vie de Dunkerque.

1940

En août 1939, le 110ème est en manœuvre à Mourmelon.Il rejoint alors d’urgence ses garnisons de Dunkerque et de Calais. Pendant la « drôle de guerre », il se consacre à parfaire sa cohésion et son instruction.

En mai 1940, c’est l’offensive allemande et il mène de durs combats face à des unités d’élite allemande durant la bataille de Gembloux en Belgique. Il paye très cher sa vaillance, mais n’est ni enfoncé, ni disloqué. Il ne se retire que sur ordre.

A Lille, ses éléments à pied qui n’ont pu échapper à l’encerclement se battent comme des lions avec des éléments du 1er RI et du 43ème RI sous les ordres du général  Jenoudet, commandant l’Infanterie de la 1ère DIM. Lorsque le commandement français ne peut plus poursuivre le combat et accepte de se rendre, ses troupes recevront les honneurs de la guerre par les allemands.

Les éléments en véhicules, qui ont échappé à l’encerclement, rejoignent Dunkerque et sont évacuées en Angleterre.

Durant ces combats se dérouleront la fusillade de Béthune où des hommes prisonniers seront abattus par des allemands et  l’épisode des martyrs de Houlle où onze soldats du Régiments faits prisonniers seront mitraillés.

Les restes du Régiment qui ont pu atteindre l’Angleterre seront débarqués à Brest, puis iront en Normandie jusqu’à l’entrée en vigueur de l’armistice.

Durant ces combats de 1940, sur les soixante -seize officiers du 110ème, dix ont été tués, deux sont portés disparus, seize sont blessés et trente huit sont prisonniers.

Le Drapeau du Régiment est sauvé en étant confié à un couple d’instituteurs qui le gardera pendant quatre ans en refusant de le remettre aux autorités françaises. Ce n’est qu’en septembre 1944 qu’il sera remis à un ancien officier du 110ème.

Résistance, Libération et Occupation de l’Allemagne

Le 110ème disparaît en juin 1940, mais ses Anciens ne restent pas indifférents à la situation de la France. Pour la plupart originaires du Nord, ils se regroupent et opèrent dans la Résistance du Pas de Calais.
A l’approche de la Libération, ils constituent des bataillons portant les numéros des régiments de la région, dont le 110.

Le 110ème RI renait le 15 octobre 1944 pendant le siège de Dunkerque où les allemands résistent. Puis il est crée un nouveau 110ème qui part s’instruire dans le Cher  avant d’être envoyé en Alsace et de franchir le Rhin .En Allemagne, il est chargé de sécuriser sa zone, effectuant des opérations  de nettoyage, faisant des prisonniers et gardant des ponts sur le Danube , avant de servir en Sarre tout en  conservant  ses  liens avec sa garnison d’origine. Il sera ensuite stationné dans le Pays de Bade et sera dissous le 30 avril 1947.

Décolonisation et guerre froide

De  1947 à 1955, le 110ème connaîtra bien des transformations .Après sa dissolution est crée le 110ème bataillon d’Infanterie qui reçoit la garde de son drapeau, puis le bataillon est dissous et le 110ème régiment d’Infanterie renaît. Il a alors sont PC à Constance, avec le bataillon de commandement et ses 1er et 2éme bataillons sont installés à Lindau, sur les bords du lac de Constance.

En 1950, le Régiment est à nouveau dissous et transformé en 110ème régiment d’Infanterie Coloniale, mais le 3ème bataillon est conservé avec l’appellation de 110ème bataillon d’Infanterie et reçoit la garde du drapeau et des traditions. Le 110ème RIC comprend un bataillon de commandement, deux bataillons coloniaux et un bataillon métropolitain. Il sera dissous en 1955 et le bataillon métropolitain est alors pris comme base pour la formation du nouveau 110ème régiment d’Infanterie Motorisé.

L’Indochine

En 1947, le Bataillon de Marche du 110ème RI est créé à partir du 1er bataillon du 110ème RI et d’éléments du 1er RI, de la compagnie de QG du Groupement d’Infanterie n°11 et de chasseurs alpins venant des Troupes d’Occupation d’Autriche.

Le Bataillon de Marche sera en opérations en Indochine du 4 février au 15 novembre 1947, notamment à Tourane, à Hué et dans la chaîne annamite, avec de multiples patrouilles, opérations de nettoyage et embuscades. Il y gagnera uns citation collective à l’ordre de la division  et ses hommes totaliseront 242 citations.

Il est dissous le 15 novembre 1947 à Hué.

Cinq années de guerre en Algérie

C’est en août 1955 que le 110ème RI part pour  l’Algérie. Il stationne dans la région d’Oran. Il y mène de nombreuses opérations de sécurisation et remporte de brillants succès.

Le Régiment perdra 113 des siens .Ses soldats recevront 786 citations individuelles.

Fin 1961, il revient en métropole, à Besançon, puis à Belfort. Il est alors intégré dans le dispositif français de défense européenne face à la menace soviétique.

En Allemagne, face à l’Est

Prêt à faire face le cas échéant à une attaque massive grâce à un entraînement intensif, il devient une des références de l’Infanterie française. En mai 1963, il prend le nom de 110ème Régiment d’Infanterie mécanisé.
Un an plus tard, il est transformé en 35ème Régiment d’Infanterie mécanisé.

Le 110ème  Régiment d’Infanterie motorisé renaît le 1er juillet 1964 par fusionnement du 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains et du 30ème Bataillon de Chasseurs à pied et tient garnison à Donaueschingen.

En 1968, il est transformé en régiment motorisé du 2ème Corps d’Armée. Il est alors le régiment le plus nombreux de l’Armée française, comptant  2073 hommes répartis  en un état-major, deux états-majors tactiques, six compagnies de combat, une compagnie d’appuis, une compagnie de commandement et des services et un groupement d’instruction.

Il mène la vie des unités des Forces Françaises en Allemagne (FFA), avec entraînement et manœuvres pour améliorer son aptitude opérationnelle. Il se prépare dans un cadre interarmes et aussi international par des échanges avec les armées britannique, américaine et allemande. Régulièrement, ses compagnies vont en renfort à Berlin. Il se consacre aussi à l’entretien des relations avec la population allemande.

Dans le cadre d’une réorganisation,  le 110ème Régiment d’Infanterie de Corps d’Armée devient en 1984 le 110ème RI et ne compte plus alors, outre son état-major, qu’une compagnie de commandement, d’appuis et de services et quatre compagnies de combat.

Brigade franco-allemande et Corps européen

Le 2 octobre 1989 est crée la Brigade franco-allemande et le 110ème est son régiment d’Infanterie, rejoint en 1992 par le 292ème Jägerbataillon allemand.

A  la création du Corps européen, la Brigade franco-allemande y est intégrée. Lorsque le 14 juillet 1994, l’Eurocorps défile sur les Champs Elysées, le 110ème RI est présents entourés des unités françaises, allemandes, belges, luxembourgeoises et espagnoles.

Le 110ème RI au XXIème siècle

Bien intégré  dans sa garnison allemande, le 110ème RI fait partie du noyau dur du Corps européen et  son action est placée sous le signe de l’Europe et de l’avenir.

Comme les autres régiments français, il participe aux opérations extérieures et porte bien haut les couleurs de la France.

Toujours, il fait honneur à sa fière devise :

Qui s’y frotte s’y pique !

Les lieutenants de Port-au-Prince garants des traditions du 110ème RI
en présence du général Narchtsheim commandant la BFA de 1999 à 2001,
du lieutenant-colonel (TA) Lauguel commandant le 110ème RI,
et du lieutenant-colonel Barth commandant le 292ème jbtl.

Texte établi par le lieutenant-colonel (r) Patrice FICHET, d’après le livre « Le 110ème Régiment d’Infanterie, à la pointe des forces européennes » écrit à l’initiative du lieutenant- colonel Dominique LAUGEL, chef de corps, par les lieutenants LEPLEY et ZAJEC (2002).